lundi 9 mars 2009

Prochain épisode

Comme j’ai terminé récemment le cycle du Dénali, il est maintenant temps pour moi de se lancer dans la préparation de ma prochaine montagne, ou mes prochaines montagnes dans ce cas. En effet, si tout va bien , à l’hiver prochain je retournerai en Argentine pour aller me promener dans la cordillera de Ramada,  un petit groupe de montagne à 70 km au nord de l’Aconcagua que j’ai déjà conquis en 2007.

Bien que la notion  de « conquête » soit ici bien relative. La conquête du sommet n’étant qu’un moment bien court au milieu d’une vaste entreprise de longue haleine, comme bien d’autres conquêtes en fait.

Je retourne en Argentine essentiellement pour deux raisons : je n’aurai pas de véritables vacances avant l’hiver prochain, ce qui limite mes destinations possibles à  l’Amérique du Sud et, seconde raison, l’Argentine, c’est vachement bien comme endroit pour qui veux se récompenser d’avoir tutoyer un beau sommet et embrasser une superbe vue. La bouffe, le vin et la douceur de vivre vous donne le goût d’apprendre le tango et d’apprécier le bandonéon.

Ces montagnes devraient êtres moins harassantes que la dernière, mais je les espères aussi passionnantes. 

dimanche 1 mars 2009

Dénali, c'est fini

Vendredi dernier j’ai finalement présenté mon film sur le Dénali. Une soirée bien réussie, les gens présent ont, je crois, bien apprécié. Cette présentation venait conclure ce cycle de montagne, un cycle qui comprend toujours les éléments suivants : préparer, grimper, revenir, raconter. Maintenant que le Dénali est raconté, je pourrai passer à la montagne suivante.

Mais, auparavant, je vous partage une dernière réflexion qui, un peu, fait le pont entre mon amour disproportionné de la montagne et mon poids d’il y a une dizaine d’années, tout aussi disproportionné.

En faisant le montage du film, j’ai remarqué que je n’avais que des images des moments les plus faciles de notre aventure, que, bien évidement, dans les moments de grandes difficultés, quand, écrasés sous l’effort, dans des vents de 90 km heure, je remettais en question ma santé mentale de m’être plus que volontairement foutu dans ce trouble là, et bien j’avais beaucoup d’autres préoccupations que celle de sortir la caméra afin d’immortaliser mon désarroi. Ce qui fait, qu’au bout du compte, j’ai des images de paysages grandioses, de montagnes magnifiques et de bouffe à profusion et que le résultat final donne un film qui célèbre plus le bonheur et les bons côtés de la montagne, que ses difficultés, et c’est bien parfait ainsi. Comme pour tout projet important couronné de succès, on retient finalement tout des bons côtés de l’aventure pour oublier les douleurs et contretemps. Mon film reflète parfaitement cela.

De toute façon comment pourrait-on traduire adéquatement les difficultés de la montagne en image? Sur l’Aconcagua j’avais trouvé une prise de vue parfaite pour l’exprimer en filmant mes pieds avancer péniblement sur le sol rocheux au son de ma respiration plus qu’haletante. Efficace. Mais sur le Dénali rien ne pourrait traduire adéquatement les moments les plus pénibles. Par exemple, comment traduire le jour de notre passage entre le camp III et le camp IV quand la tempête de neige nous a frappé entre deux pentes? En moins de deux minutes nous étions emmitouflés dans nos plus épais manteaux, avec nos lunettes de ski et tout ce qu’il fallait pour affronter le vent et le froid. Sur le Dénali les tempêtes arrivent vite (celle-là laissa 25 cm de neige en moins de 30 minutes) mais repartent aussi vite et quand le soleil est ressorti nous étions tous en progression sur une pente glacée appelée Squirrel Hill avec aucun moyen de nous arrêter avant le sommet. Habillés comme le bonhomme Michelin, exposés en plein soleil sur un immense réflecteur de glace, nous étions dans vrai four. Il faisait si chaud et la seule chose que je pouvais faire c’était de serrer les dents en regardant la sueur qui remplissait mes lunettes comme l’eau remplie un masque de plongée. J’aurais voulu mourir à chaque pas avant d’arriver sur le plat pour pouvoir enfin enlever nos manteaux. Trois fois dans cette journée le temps nous a fait le coup des changements brusques et c’est pratiquement dans un état second que je suis parvenu au camp IV. Assis là, je pouvais voir le fameux « headwall », une paroi de 1000 m de haut avec des sections à plus de 50 degrés, et j’avais seulement le goût de brailler en pensant qu’il faudrait passer par là les jours suivants. On traduit ça comment dans un film?



Comment traduire en images les dernières heures du retour du sommet, quand nous revenions vers le camp après près de 15 heures de marche avec juste un peu d’eau et de chocolat? Je vous le demande, parce que moi je ne sais vraiment pas, dans ma tête j’étais plus loin que l’épuisement, c’était le vide total, un vrai zombie. Une semaine plus tard, à ce même endroit, dans les mêmes circonstances, un jeune Indonésien de 21 ans va se retourner vers son guide, dire « I can’t go no more » et mourir drette-là, son coeur ayant flanché.


En fait, tout ça ne se traduit pas en images, ça se vit, ça se traverse, et ça s’oublie. Quelques jours après m’être désespéré au pied du « headwall », je grimpais celui-ci quasiment au pas de course (quasiment étant ici un terme tout à fait relatif) et les derniers mètres avant le retour au camp étaient bien loin trois jours plus tard après ma première douche en trois semaines et le retour à la civilisation.

Ce long détour par l’Alaska pour revenir un peu à l’obésité. C’est peut être pour cela que j’aime tant la montagne, je m’y sens comme chez-moi, peut-être parce que ma vie d’obèse m’y a bien préparé, peut-être parce que c’est un peu revenir à la maison, aussi inconfortable fut-elle. Bien entendu, je pourrais vous refaire la boutade que je fais assez souvent en disant que, finalement, porter des charges énormes en étant constamment essoufflé n’est pas bien différent du temps de mon obésité ou je fumais deux paquets de cigarettes par jour, c’était de l’entraînement intensif au fond. Mais c’est plus que ça.

Comme je l’ai déjà écrit, je crois que j’ai gardé le meilleur de mon obésité, que j’en ai gardé les bons apprentissages. Attention, pas les bons côtés, il n’y a pas de bons côtés, mais il y a, comme dans toute chose, des choses à saisir, à apprendre, et je crois que j’ai appris les bonnes, pour oublier les mauvaises. L’obésité m’a donné l’occasion de devenir un homme meilleur et je crois avoir saisi cette occasion. Aujourd’hui je pense aux difficultés que j’ai connu étant obèse et j’y ai un rapport très distant, je me demande encore comment j’ai pu les supporter, comme si quelqu’un d’autre les avait vécus. Peut-être est-ce un peu le cas, quand je ressort mes photos de gros, comme je l’ai fait vendredi pour passer un message, je ne peu m’empêcher de penser que ce François là, avec ses 190 kg bien comptés, était pas mal plus fort que je ne le serais jamais. J’ai pris ma retraite de ce côté-là.

Enfin il en va ainsi un peu de la montagne et de l’obésité : les difficultés sont bien relatives alors que les bonheurs sont absolus une fois que l’on en est revenu. Reinhold Mesner, assurément le plus grand et le plus détestable des himalayistes répondait ainsi à la question du « pourquoi grimper et risquer sa vie ainsi? ». « Pour se sentir revenir à la vie après ».

Perdre du poids vous apparaît peut-être comme insurmontable, mais ne pensez pas à la difficulté d’aujourd’hui, mais au bonheur demain, d’avoir réussi.