mercredi 23 décembre 2009

Virer de bord

Voilà; 25 jours plus tard, me revoici à l'aéroport de Miami attendant mon vol pour Montréal. C'est le retour à la maison, le retour d'une autre montagne. C'est un retour tout en transition cependant. Il y a déjà une semaine que je suis redescendu et, depuis, j'ai pleinement profité de la très ensoleillée et très sèche Mendoza (cinquième région viticole de la planète) et de Buenos Aires, que j'ai quitté hier soir. C'est pas donnée de faire de la haute montagne, il faut aller loin, mais justement ce sont toujours des occasions de voyage et de découverte.

Je rentre donc à la maison après avoir tenté de grimper le Mercédario. Je dis "tenté" car, plusieurs l'apprendront ici, j'ai renoncé à moins de 40 mètres du sommet. Attention, je dis 40 mètres, ce sont 40 mètres verticaux, en distance horizontale à parcourir c'était plus que ça. J'avais dépassé le premier cône sommital (qui était un anté sommet, voir les entrées précédentes) et j'avais atteint la crête finale, qui menait au petit sursaut du véritable sommet. Je voyais parfaitement bien le vrai sommet, proche malgré que j'estimais qu'il me faudrait au moins une heure de plus pour l'atteindre, mais, bizarrement quand je l'ai vu à porté de main, ou de pied si vous préférez, la volonté de l'atteindre m'a abandonnée. J'étais particulièrement fatigué, notre journée avait commencé 7 à 8 h auparavant, à 5200 mètres, sous un vent constant de 70 `km/h, un assaut long, ardu. Depuis une heure j'avais des engelures au nez, mais j'ai voulu ce sommet, je le sentais proche.

Puis, quand je l'ai vu à porté , quand est venu le temps de le toucher, l'évidence fut qu'il y a des conquêtes, aussi accessibles semble-t-elles, qui ne sont pas dues pour se faire. Que la première mesure du succès en haute montagne, c'est d'en revenir et qu'aucun sommet ne vaut un nez, un doigt. J'ai senti que, si j'avais encore l'énergie pour retourner de façon sécuritaire au camp, en continuant pendant cette heure de plus pour atteindre le sommet, je ne savais pas si j'aurais encore cette force. Devant ce constat, j'ai tourné les talons sans regrets. Seule Faye, qui avait elle aussi tournée les talons au Dénali près du sommet, a voulu poursuivre et, en plus de 3 heures d'efforts, elle a fait le sommet en solo, dans la tempête pendant que nous l'attendions.

Donc, pour la première fois de ma (limitée) carrière de grimpeur, j'ai renoncé a un sommet. Depuis, je cherche en moi un sentiment d'échec quelconque, une déception inavouée, une frustration rationalisée et je n'en trouve pas. Je suis parfaitement en paix avec ma décision et je dois dire que, quelque part, ce fut peut-être ma plus belle montagne. Elle m'a donné l'occasion de donner le meilleur de moi-même, d'aller au bout de mes ressources et je me suis donner l'occasion d'être encore là, ici et sur une autre montagne pour me battre encore. La vrai mesure du succès n'est pas tant d'avoir réussi hier, que de pouvoir continuer d'essayer demain, c'est ce que nous ferons demain qui déterminera ce que nous seront, pas ce que nous avons fait hier. Déjà, j'ai le goût d'une pente.